Audience 5

13h50

Je gravis les nombreuses marches menant au tribunal. À l’entrée je dois me soumettre au contrôle de sécurité : je vide mes poches, montre l’intérieur de mon sac et passe entre le portique de sécurité, ouf je suis passée ! La personne qui me suit a plus de difficultés… En béquille elle doit néanmoins faire l’effort de passer sans leur aide pour que le portique puisse avoir une certaine utilité… Mais le bip retentit tout de même, on fait repasser la personne à qui on demande de se défaire de sa ceinture. Elle passe de nouveau mais encore une fois ça bippe. Elle repasse une troisième fois… Cette fois c’est bon ! On l’autorise enfin à récupérer ses affaires et à se rendre dans la salle d’audience.

13h55

Les proches des prévenu·e·s se sont déjà installé·e·s dans la salle. Quelques avocat·e·s sont aussi présent·e·s. Les gens discutent tout bas entre eux. Un avocat fait une dernière mise au point avec son client. Et on attend.

14h05

Les juges entrent dans la salle. Tout le monde se lève et on attend le signal donné par le président pour se rasseoir. La longue après-midi d’audiences peut commencer.

L’intervention d’une avocate au sujet d’un mouvement de grève au sein de la magistrature rend le déroulement des événements un peu moins monotone qu’à l’accoutumée. J’entends assez mal son discours autour de la question de l’indépendance de l’avocat, il y a du bruit dans la salle et l’avocate en question ne parle pas très fort.

S’en suit un certains nombre de demandes de renvoi justement à cause de cette grève.

14h10

Dernière demande de renvoi. Le prévenu est présent et s’avance à la barre. Alors que le juge commence à parler, le prévenu lui coupe la parole… Le juge intervient aussitôt et s’agace : « attendez, laissez-moi finir ! ». Mais le prévenu ne le laisse pas poursuivre et commence lui aussi à s’énerver « de toute façon rien n’est jamais à mon avantage ! » ; il n’est de toute évidence pas d’accord avec cette demande de renvoi sollicité par son avocat… Le juge lui répond alors « il va falloir que vous vous calmiez, je ne supporte pas que vous me parliez comme ça ! ». Le prévenu continue de rouspéter à voix basse « faut pas être pressé ». Malgré son insistance, la demande de renvoi est acceptée et fixée deux mois plus tard.

14h15

Une nouvelle affaire commence. Il s’agit d’un homme retraité, poursuivi pour appels téléphoniques malveillants, harcèlement sexuel et tentative d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans. Le juge note l’absence du prévenu, et s’en désole en souriant « ça aurait pu être intéressant qu’il soit là ». Il évoque la personnalité bipolaire de l’accusé et fait la lecture de son état civil. Il poursuit sur la description de sa personnalité d’un ton enjoué, en citant le prévenu lui-même « il se décrit comme artiste, poète, passionné de photographie ». Son casier est vide.

Le rapport de l’expert indique qu’il s’agit d’un homme d’une forte corpulence, d’un niveau intellectuel supérieur, qui a une intolérance à la frustration, qui est procédurier… Il est bien connu de l’hôpital où il a fait des séjours pour troubles comportementaux, ainsi que des gendarmes qui l’y ont conduit car il refusait de prendre les médicaments prescrits par son psychiatre. Le juge commente cette lecture en indiquant que le prévenu se décrit comme « simplement excessif ». Le rapport conclut que le prévenu est « médiocrement accessible à une sanction pénale » et présente des « difficultés d’accéder à une ébauche de remise en cause. »

Après la première plainte d’une mineure, plusieurs plaintes ont été déposées à son encontre pour des faits similaires auxquels s’ajoutent des menaces, injures et chantage. Des personnes qui ont eu, selon le juge, « à souffrir des agissements de M. Martin ». Le juge fait alors l’énumération des victimes et de leurs plaintes, pendant près d’une demi-heure. Il y a en tout une dizaine de personnes qui se portent ici parties civiles, mais seules deux d’entre elles sont présentes, notamment la mineure qui a porté plainte pour tentative d’agression sexuelle. Des observations sont demandées à l’avocat du prévenu qui cite également des problèmes de santé physique de la part de son client, le juge commente « il n’y a pas que dans la tête que ça ne va pas très bien ».

Je ne vais pas relater ici toutes les affaires – quoi que le juge ne s’y soit pas trompé, alternant, en l’absence du prévenu, entre les citations des parties civiles, celles du prévenu – insultes comprises – et des extraits de l’enquête (relevés téléphoniques, courriers…). Le juge relate les plaintes et les auditions qu’il qualifie avec ironie d’ « intéressantes » comme s’il racontait une bonne histoire à un public à divertir – « il dit alors », « et il va répondre longuement » – mettant le ton lorsque qu’il lit les déclarations des parties civiles et du prévenu et se permettant d’interpréter ce qui est dit « enfin c’est comme ça que j’ai interprété sa réponse ». Là où M. Martin explique son comportement par la faute des victimes « mais ils me devaient 2000 euros ! » le juge conteste sa justification en s’exclamant « il se présente toujours comme une victime ! ».

L’une des deux parties civiles présentes, à peine arrivée à la barre, est presque immédiatement écartée par un « je suis un peu surpris de vous voir » car il a en fait retiré sa plainte.

Le juge reprend ensuite son énumération en s’excusant « je sais que ce que je dis est un peu répétitif mais c’est important d’entendre ce que chaque victime a vécu ». On retient plusieurs harcèlements téléphoniques auprès de professionnels (médecin, femme de ménage, plombier, banquier…), mais aussi du harcèlement sexuel auprès de proches. Neuf victimes au total ayant déposé plainte. Le récit fait de nouveau rire l’assistance lorsque le juge s’étend sur la tenue dans laquelle le prévenu a reçu son plombier-chauffagiste, laissant apparaître une plaie sur sa jambe dont il avait semble-t-il coutume de se plaindre, « Vous me rassurez, M. Martin il est toujours vivant ? », s’adressant à l’avocat de la défense. La mère de la jeune fille partie civile elle-même ne peut s’empêcher de réagir, pouffant avec son avocate, lorsqu’elle ne soupire pas de consternation.

On arrive à l’affaire de la jeune fille – Mlle Pont. Le juge évoque les faits : M. Martin serait devenu un ami de la famille, et aurait été régulièrement invité à manger chez eux. Bien qu’un peu encombrant il faisait beaucoup de cadeaux à toute la famille. La mère de la jeune fille dira « qu’ il sait y faire ». Ce contexte posé, elle commence à relater les faits. Le prévenu emmène avec lui la jeune fille pour aller faire du shopping. Le juge l’interrompt « pourquoi vous laissez votre fille seule partir avec M. Martin ?», elle répond, confuse «  mais il a insisté », le juge rétorque alors « moi j’ai une fille du même âge, il ne me viendrait pas à l’idée de laisser ma fille seule avec quelqu’un ». La mère s’embrouille un peu dans ses explications, le juge conclut « vous n’avez pas été assez ferme dans votre refus ». Le récit reprend : dans la voiture M. Martin demande à Mlle Pont si elle peut lui faire un « bisou », ce à quoi elle répond « si tu le fais je t’en mets une », ils font ensuite les magasins, puis ils vont se balader dans un parc. Mlle Pont se rend compte alors que M.Martin a pris des photos d’elle en cadrant sur ses fesses et ses seins. Surprise, elle dit les effacer aussitôt. Le juge: « Pourquoi vous les effacez, vous auriez pu attendre et lui demander pourquoi il avait pris ces photos ? », Mlle Pont ne répond pas. « Non ? » insiste le juge. Elle répond tout bas « oui j’aurais pu » et ajoute « j’avais peur de sa réaction ».

Puis le juge continue de raconter le déroulement de la journée, entre autre les propos du prévenu et ce moment où il pose sa main sur la cuisse de Mlle Pont et sa tentative de l’embrasser. À ce moment, Mlle Pont déclare avoir réagi vivement, lui disant « si tu le refais je te fous une baffe ». Le juge la remet alors en doute : « là vous n’avez pas eu peur de sa réaction ? », Mlle Pont ne réagit pas, « Bon. C’est pas une critique hein ! », elle baisse les yeux et ne dit rien. Il reprend l’affaire et raconte que le prévenu aurait, plus tard, glissé un préservatif dans les affaires de la chambre de Mlle Pont et lui demande de confirmer « vous maintenez pour les préservatifs ? », encore une fois Mlle Pont répond doucement « oui, oui ». Le juge parle aussi du harcèlement téléphonique qu’elle a subi et lit quelques exemples.

15h15

Le juge revient sur les déclarations de M. Martin par rapport à cette histoire en commençant par « je fais très court parce que M. Martin il n’est pas dans la synthèse » (il regarde son assesseur et ils échangent un sourire). Il revient notamment sur l’histoire des photos. M. Martin déclarait qu’il n’avait pas cadré sur les fesses ou les seins de Mlle Pont mais sur son nez et ses oreilles. Le juge s’exclame alors « j’aurais bien voulu savoir pourquoi il a dit prendre des photos du nez, fort joli par ailleurs et des oreilles de Mlle Pont ? ». Les gens dans la salle rigolent, pas Mlle Pont.

Le juge parle d’un message vocal laissé sur le téléphone de Mlle Pont par M. Martin et lui demande de le répéter. Mlle Pont s’exécute mais le juge l’interrompt : « parlez plus fort ». Elle répète donc. Le juge commente « c’est encore dommage qu’il ne soit pas là, je lui aurais posé des questions sur ce message ». Le juge rigole un peu ensuite lorsqu’il lit la déclaration de M. Martin « Je n’ai rien à dire, j’ai l’impression d’avoir été pris pour un pigeon » et commente ses déclarations par « C’est une réponse à la Fernand Raynaud ! »

Le juge interroge ensuite la mère de Mlle Pont qui s’explique « j’ai cru rendre service à quelqu’un de seul et je me suis fait avoir, il sait y faire ». Elle explique qu’il lui disait, pour qu’elle réponde favorablement à ses demandes que c’était pour que « sa fin soit plus douce » (M. Martin a des soucis de santé), le juge dit alors que « c’est une mort lente si j’ai bien compris ».

Le juge conclut : « ça aurait été plus vivant si M. Martin avait été là ».

15h30

C’est à l’avocate de la partie civile, donc de Mlle Pont et de sa mère, de s’exprimer. Elle est assez jeune et ne parle pas très fort – je ne parviens pas entendre tout ce qu’elle dit. Elle commence par remercier le juge de son instruction mais ajoute « je vous remercie un peu moins pour les questions que vous avez posé à mes clientes » et « je déplore que le malaise ça soit elles qui le ressentent ». Elle a ensuite une plaidoirie sensible, qui insiste sur une « famille ouverte » et « modeste ». Pour elle le prévenu « sait ce qu’il fait, il est dans la réalité des choses ». Elle lit ensuite le long message vocal laissé sur la messagerie de Mlle Pont, à l’occasion duquel il décrit son désir pour elle. Le juge lui coupe alors la parole : il n’a pas lu ce message devant tout le monde, par peur que ça soit trop difficile pour la victime. L’avocate perd alors ses moyens, elle rougit, retrousse ses manches et a beaucoup de mal à lui répondre et à reprendre sa plaidoirie. Elle conclut finalement assez vite à sa demande de peine.

Le procureur demande une « peine dissuasive » : quatre ans d’emprisonnement avec sursis et une amende de 500 euros, ainsi que les dommages et intérêts demandés par les parties civiles. Elle demande aussi son inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infraction sexuelle.

Le juge donne la parole à l’avocat de la défense, rappelant encore une fois que la présence du prévenu manque ici. L’avocate entame sa plaidoirie : « sa présence nous manque-t-elle réellement ? », car selon lui « les explications vous ne les auriez pas eu ». Il ajoute que c’est « le genre de client que vous hésitez à prendre ». Il en parle avec légèreté et humour en racontant quelques anecdotes (cadeaux de son client, épaisseur des dossiers qu’il constitue…). Toute la salle, ainsi que les parties civiles, leur avocate et le juge rigolent franchement. L’avocat en rajoute « on le range dans la catégorie des fous », ou encore « on a à faire à quelqu’un de cinglé ». Puis il change soudainement de ton et parle alors d’un « individu en souffrance ». Il reconnaît le harcèlement téléphonique et sexuel tout en remettant en question l’attitude de la mère. Il explique, en s’adressant à la mère de la victime, que « moi c’est ma fille, les warnings s’allument » et s’étonne de son manque de réaction dans l’affaire. Il revient aussi sur l’attitude de la jeune fille lors des faits. Selon lui lorsqu’elle répond à M. Martin « si tu le fais je t’en mets une » elle n’est pas tant en position de dominée et il se pose alors la question du rapport d’autorité entre les deux protagonistes. Il enchaîne en disant que leur relation ne devait pas trop perturber Mlle Pont qui n’hésite pas à aller faire les magasins avec M. Martin, sans s’inquiéter. Il finit en s’étonnant que Mlle Pont ait effacé les photos trouvées sur l’appareil photo de M.Martin, alors qu’elle aurait pu les garder comme preuves. Enfin, il tente de faire relaxer son client pour l’agression sexuelle en mettant en question le fait qu’un « carressage » de cuisse puisse être qualifié d’agression sexuelle.

L’audience est close, le délibéré remis à une date ultérieure.