Audience 4

Il est 14h05. La présidente fait l’appel des dossiers, devant une petite trentaine de personnes. « On a des rôles un peu bizarres aujourd’hui… », fait-elle remarquer d’emblée. Premier appelé à la barre, M. Baccouche, 28 ans. Il vient de prison, et est escorté par plusieurs gendarmes. Il lui est reproché de ne pas avoir réintégré la prison, où il est incarcéré, à l’issue d’une journée de travail, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté.

Condamné à treize ans de prison (trois ans pour extorsion de fonds avec violence et dix ans pour tentative d’assassinat), il arrivait en fin de peine. La présidente rappelle les faits, puis demande au prévenu s’il souhaite répondre à ses questions, se taire ou s’exprimer spontanément. « Spontanément », répond-il. « Bon, je vais quand même avoir du mal à ne pas vous poser des questions… ».

« Vous aviez quand même des mesures TRÈS favorables, monsieur, mais vous n’avez pas saisi cette chance ! », lance la présidente, avant d’insister sur les faits : « Vous avez quitté votre emploi, mais vous n’êtes pas rentré en prison. C’est une bêtise à hurler ! » Jusqu’à présent, M. Baccouche s’exprime peu. Il se tient droit, les mains sur la barre. La présidente, elle, enchaîne. « Quelques temps avant, vous êtes rentré en prison avec du cannabis », M. Baccouche la reprend : « De la résine de cannabis… C’était involontaire, elle était au fond de mon paquet de tabac ».

Il n’en faut pas plus pour relancer la présidente, en forme visiblement : « Vous êtes idiot ou vous faites semblant ?! Qu’est-ce que ça foutait au fond de votre paquet de tabac ? Une autre fois, vous êtes re-rentré avec un téléphone portable. » Le prévenu reconnaît alors que, pour le portable, c’était volontaire.

« Le Juge d’Application des Peines (JAP) s’est mis un peu en colère, et pour éviter un allongement de peine vous n’êtes pas revenu en prison. Donc, qu’est-ce que vous avez fait entre le 14 mai et le 8 septembre, date à laquelle vous vous êtes présenté à la gendarmerie de Bourac ? ». Le prévenu répond en agitant les mains, d’une voix qui porte peu : « Je me suis déplacé dans plusieurs départements, j’ai rencontré des gens qui ne connaissaient pas ma situation donc je ne leur ai pas expliqué ». Et surtout il avoue qu’il a « galéré ».

Il explique aussi qu’il a compris qu’il avait fait une erreur, et rappelle qu’il avait laissé une lettre pour qu’on ne s’inquiète pas et qu’on ne le recherche pas. La présidente se moque un peu et s’exclame que lorsque un détenu s’évade, c’est évident qu’on va le rechercher. Il rappelle aussi qu’il s’est finalement présenté de lui-même à la gendarmerie.

Tout au long de l’échange, la présidente utilise un ton hautain et infantilisant. « Est-ce qu’on va apprendre là, dans quelques semaines, que vous avez fait une grosse bêtise ? Vous en avez fait une ? ». M. Baccouche répond par l’affirmative. « Oui, j’en ai fait une. » « Une grosse ? » « Bah ça dépend ce que vous appelez une grosse bêtise. » « Avec les condamnations que vous avez déjà eues, je ne sais pas où vous placez le curseur ! ». « J’ai été con, j’arrivais en fin de peine », répond-il, sans dévoiler la « grosse bêtise ». La présidente n’insiste pas, elle n’était de toute façon pas sensée lui poser ces questions…

Pour tous les protagonistes, l’affaire semble de toute façon déjà entendue. La présidente le laisse clairement entendre : « Vous devez sortir de prison en avril 2015, il va y avoir un petit « rajout ». » Elle demande ensuite ce qu’il compte faire en sortant de prison. Le prévenu répond une évidence : « Je ne peux pas faire de projets alors que je ne sais pas quand je vais sortir ».

Le réquisitoire de la procureure est expédié en quelques minutes. Cette dernière martèle son « incompréhension » vis-à-vis du prévenu, qui « s’est échappé de sa semi-liberté alors qu’il était proche de la fin de sa peine. Mais depuis le début, il n’avait pas respecté le contrat, multipliant les incidents : horaires, etc ». Elle précise que pour elle le prévenu a bénéficié de beaucoup de clémence malgré « des antécédents gravissimes ». Et même s’il s’est effectivement rendu de lui-même à la gendarmerie, elle considère qu’il n’a de toute façon pas « respecté le contrat ». Six mois de prison sont requis.

(14h25) L’avocat du prévenu, d’un certain âge, est quasiment inaudible. Tout juste arrive-t-il à faire comprendre que son client a des circonstances atténuantes : « On sent bien que c’est un garçon fragile et qu’il a besoin d’un accompagnement psychologique ». Il ajoute que son client a passé son bac en prison, ce qui n’est pas rien, surtout pour un jeune homme qui « a passé la majeure partie de sa vie » derrière les barreaux. Il insiste sur une enfance malheureuse et termine en rappelant une fois encore « qu’il est revenu de lui-même (à la gendarmerie) ».

À 14 h 35, après une délibération, M. Baccouche est finalement condamné à cinq mois de prison supplémentaires. Son léger rictus montre bien qu’il n’est plus à ça près. Conclusion piquante de la présidente : « Cela vous convient (sic) ? Allez, disparaissez et quand vous sortez, tenez-vous à carreau hein ! ».

Audience 3

Le prévenu, qui doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels, est absent mais la présidente dit qu’il aurait reconnu tous les faits dont elle commence la synthèse : « M. Mohamed a ba non, pardon, Hamed c’est son patronyme, enfin je pense ».

Le prévenu a trois mentions sur son casier judiciaire pour des faits de violence, de rébellion ou d’outrage pour lesquels ils s’est déjà pris plusieurs mois de sursis assortis d’une obligation de soins et d’une obligation de travail. Il lui est reproché d’avoir résisté avec violence à une intervention des forces de police et de les avoir outragé en les affublant de quelques quolibets : « espèce de PD, connard, sale merde, fils de pute ». Le Tribunal correctionnel l’a condamné à deux mois fermes et à 100 euros de dommages et intérêts. Considérant que c’était un peu cher payé les trois insultes, il a fait appel.

Tout commence dans le bus, au cours d’un contrôle des agents de la compagnie de bus. Il n’a pas de titre, pas ses papiers d’identité et est alcoolisé. Les agents de contrôle appellent les forces de l’ordre qui le plaquent au sol – « il sera légèrement égratigné, sûrement en raison de ce plaquage » précise la présidente – puis l’emmènent au commissariat où, après avoir été placé en dégrisement, il refuse de sortir de cellule. Il était tellement « remonté » et « agité » qu’un policier aurait été « contraint » de « s’asseoir sur lui » (1) raconte sereinement la juge …

Il a déclaré dans sa déposition que les contrôleurs l’ont énervé car ils ne voulaient aucun arrangement de paiement ; il avait proposé de régler une partie de l’amende en liquide mais ça ne leur a pas suffi. Il a ajouté que « les policiers étaient agressifs et [le] menottaient beaucoup trop serré » et qu’il « s’énerve facilement quand il a bu, comme tout le monde ».

Le procureur requiert la confirmation de la peine de 2 mois, ce qui est « un minimum face à un comportement aussi inadmissible par rapport aux forces de l’ordre ».

Son avocate plaide qu’il n’est pas un « délinquant », que toutes ses condamnations se rapportent aux mêmes types de fait : il est violent lorsqu’il consomme de l’alcool. « Dans la vie, c’est un type normal, sympa pas violent mais quand il boit il ne se contrôle plus ». D’où sa conclusion : « c’est un type qui a sûrement besoin de soin et d’un suivi » mais, elle ne voit pas l’intérêt de le mettre en prison, « ni pour lui, ni pour la société ». Certes, « il est au RSA et ne contribue pas à la communauté mais ce n’est pas un délinquant ».

Point d’orgue de cette défense infaillible, alors que personne ne l’avait évoqué avant, l’avocate rappelle à la juge qu’il faudra aussi se prononcer sur la révocation du sursis prononcé à l’occasion de précédents procès … et d’envisager, du coup, un éventuel séjour à l’ombre !!

« La décision est remise à plus tard ! »

(1) : Méthode policière qui, bien que traditionnelle, n’en est pas moins théoriquement interdite.

Audience 2

M. Martin passe pour la troisième fois devant la justice qui lui reproche d’avoir pris la voiture après avoir consommé de l’alcool et du cannabis. Le procureur lui a d’abord proposé, comme alternative à un procès, le paiement d’une grosse amende. Il a refusé et s’est donc retrouvé devant le tribunal correctionnel qui l’a condamné à une amende de 300 euros et à une suspension de permis de conduire pour une durée de 6 mois. Contestant les faits qui lui sont reprochés, il a fait appel.

Quelques mois plus tôt, lorsqu’ils le contrôlent sur une petite route de campagne, les policiers « remarquent des rougeurs dans ses pupilles ». Ils lui demandent s’il a consommé des stupéfiants ce à quoi il répond qu’il a « passé la soirée en compagnie d’amis qui fumaient mais que lui n’a pas fumé ». Qu’à cela ne tienne, les policiers le soumettent à un test d’alcoolémie et à un test de détection salivaire. Le premier révèle un taux d’alcoolémie légèrement supérieur à la limite autorisée (0,33 mg par litre d’air expiré pour 0,25 mg autorisé), le second de légères traces de THC (substance active du cannabis)

A la question de la juge de savoir s’il consommait des produits stupéfiants, il répond qu’il est un « consommateur passif », souvent entouré de fumeurs mais ne fumant pas lui-même. Cependant, pour la juge, l’affaire est déjà dans le sac d’autant que l’expert qui a été interrogé suite aux analyses urinaires a considéré que son taux de THC était « révélateur d’une consommation effective ».

Afin de lui montrer l’implacabilité de son intime conviction, elle lui demande comment il explique la présence d’alcool dans son sang, ce a quoi il répond qu’il avait bu … Comprenez : si vous avez de l’alcool dans le sang parce que vous avez bu, vous avez donc également du THC dans le sang parce que vous avez fumé ! Elle clôt l’interrogatoire de manière péremptoire : « les faits sont somme toute très simples ». Ce qui semble également être de l’avis de l’avocat général qui, dans ses réquisitions, s’étonne que M. Martin ait fait appel dès lors que la seule chose qu’il aurait à y gagner serait une aggravation de sa peine.

L’avocat plaide la relaxe : M. Martin n’a eu de cesse de le répéter, il ne consomme pas de cannabis et la quantité de THC dans le sang est trop infime pour considérer que l’infraction est caractérisée. C’est peine perdue, la Cour d’appel confirme le jugement du Tribunal correctionnel : il devra mettre 300 euros dans les caisses de l’État et n’aura plus le droit de conduire pour 6 mois !

Audience 1

Printemps 2014

M. Robert est poursuivi avec sa compagne (qui sera tout le long du procès mise en second plan, l’attention étant d’avantage portée sur son mari) pour avoir tenté de voler une boite à outils, une perceuse et des cadenas dans un magasin de bricolage. Son casier fait état de nombreuses mentions, la plupart pour des vols, que la juge énumère en marmonnant. Sa dernière condamnation remonte à 2003, il s’était alors pris un an ferme.

D’emblée la juge lui demande : « alors, M. Robert, d’ailleurs est-ce que c’est bien comme ça qu’on prononce votre nom ? S’agit-il d’une rechute ou est-ce que c’est que vous ne vous êtes pas fait prendre depuis la dernière fois ? »

La juge raconte l’affaire : ce matin là, M. Robert entre avec sa compagne dans un magasin puis celle-ci ressort. Elle remarque que les employés du magasin surveillent de près son mari et lui envoie un texto lui disant qu’il s’en aille car il est repéré. M. Robert panique et cache une perceuse qu’il avait dans la main dans le faux plafond. Il dira qu’il l’avait mise là en voulant aller aux toilettes.

Après avoir rappelé qu’il arrivait, le matin des faits, de l’autre bout de la France avec une voiture dont les plaques d’immatriculation avaient été modifiées, la juge suggère : « vous êtes venus ici pour commettre ces vols en vous disant que ce serait plus simple ici, moins surveillé, et donc vous avez modifié vos plaques d’immatriculation pour vous dissimuler ».

Il explique qu’il est venu avec sa compagne pour aller au Futuroscope mais qu’ils étaient arrivés à Poitiers en avance et qu’il avait donc voulu se rendre dans un magasin de bricolage afin de faire des achats qu’il n’avait pas eu le temps de faire avant de partir. La juge demande :

« Quel type d’achat aviez-vous à faire dans un magasin de bricolage ?

– Je voulais acheter de quoi protéger mon garage car j’avais été cambriolé quelques jours avant.

– Vous aviez besoin de vous protéger contre le vol ?! C’est drôle dans votre situation. Comme quoi, même les voleurs ont besoin de se protéger contre le vol ! »

Tandis qu’il continue à s’expliquer, la juge le regarde de haut, les mains croisée, en lâchant quelques « hum, hum », son avocate tapote sur son téléphone portable. L’intérêt pour l’histoire de M. Robert est à son comble ! La juge et le procureur, complices, se regardent en secouant la tête de gauche à droite pour bien signifier à M. Robert qu’ils ne croient pas un mot de son histoire. « Il y a dans votre histoire, Monsieur, ce que vous nous racontez et ce qu’on imagine » finit-elle par lâcher avant de narrer l’histoire de cet homme telle qu’elle la voit elle.

Lorsque la juge lui rappelle ses aveux de fin de garde à vue au cours de laquelle il aurait tout reconnu, il explique que c’était la fin, qu’il était fatigué et qu’il voulait en finir. L’avocate échange un regard complice avec la juge puis hausse les yeux : « je dirai ce que j’ai à dire là-dessus après Madame le juge».

La juge finit par hausser un petit peu le ton : « M. Robert, c’est quoi votre problème exactement ?! ». L’avocate se retourne en soupirant.

Mme Robert est traitée de la même manière alors qu’elle tente d’expliquer sa situation : 6 enfants à charge, beaucoup de fatigue, juste l’envie de faire une pause le temps d’un week-end … Et si elle reconnaît les faits à la fin de la garde à vue c’est parce qu’« [elle] a passé une nuit d’enfer, et oui [elle] voulait sortir ».Et la juge de répondre :
« Oui le truc des 48h je sais c’est horrible et tout mais quand même vous avez reconnue les faits. Alors vous l’avez dit ou pas ?
Mais je l’ai dit parce que ça faisait longtemps (en garde à vue)
Bien sur ! »
Et la juge de poursuivre en expliquant que pour elle, qui « part souvent en vacances », si on veut souffler le temps d’un week-end on ne passe pas son temps dans les magasins…

Le procureur commence ses réquisitions en disant qu’il trouve ça insultant que M. Robert fournisse de telles explications. Il présente sa vision des choses – qui correspond exactement à celle présentée par la juge – puis regarde M. Robert : « ça aurait été tellement plus simple de présenter les choses comme ça. On aurait pu l’entendre et le comprendre d’ailleurs ». Concernant sa compagne, il se contentera de dire qu’il regrette son attitude à la barre.

L’avocate plaide la relaxe partielle pour lui et la relaxe pour sa compagne. Elle les regarde « je suis désolé, je vais raconter un petit peu votre vie ». Elle explique que son problème est qu’il commet toujours plein de petits vols pour lesquels il se fait toujours prendre. Que c’est « quelqu’un qui se sent pas toujours très bien dans sa tête, ça il faut le dire ».

L’avocate finit de plaider, puis sans même lever la tête la juge ordonne : « avancez, avancez tous les deux ! ». Elle les condamne tous les deux, lui à 90 jours amende de 10 euros et elle à un mois avec sursis en leur réclamant la promesse qu’ils ne recommenceront plus…

« Vous saurez désormais qu’à Poitiers, c’est plus facile de voler et qu’on se fait moins sévèrement sanctionner mais qu’on se fait prendre ! »

A bon entendeur …