Audience 3

Le prévenu, qui doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels, est absent mais la présidente dit qu’il aurait reconnu tous les faits dont elle commence la synthèse : « M. Mohamed a ba non, pardon, Hamed c’est son patronyme, enfin je pense ».

Le prévenu a trois mentions sur son casier judiciaire pour des faits de violence, de rébellion ou d’outrage pour lesquels ils s’est déjà pris plusieurs mois de sursis assortis d’une obligation de soins et d’une obligation de travail. Il lui est reproché d’avoir résisté avec violence à une intervention des forces de police et de les avoir outragé en les affublant de quelques quolibets : « espèce de PD, connard, sale merde, fils de pute ». Le Tribunal correctionnel l’a condamné à deux mois fermes et à 100 euros de dommages et intérêts. Considérant que c’était un peu cher payé les trois insultes, il a fait appel.

Tout commence dans le bus, au cours d’un contrôle des agents de la compagnie de bus. Il n’a pas de titre, pas ses papiers d’identité et est alcoolisé. Les agents de contrôle appellent les forces de l’ordre qui le plaquent au sol – « il sera légèrement égratigné, sûrement en raison de ce plaquage » précise la présidente – puis l’emmènent au commissariat où, après avoir été placé en dégrisement, il refuse de sortir de cellule. Il était tellement « remonté » et « agité » qu’un policier aurait été « contraint » de « s’asseoir sur lui » (1) raconte sereinement la juge …

Il a déclaré dans sa déposition que les contrôleurs l’ont énervé car ils ne voulaient aucun arrangement de paiement ; il avait proposé de régler une partie de l’amende en liquide mais ça ne leur a pas suffi. Il a ajouté que « les policiers étaient agressifs et [le] menottaient beaucoup trop serré » et qu’il « s’énerve facilement quand il a bu, comme tout le monde ».

Le procureur requiert la confirmation de la peine de 2 mois, ce qui est « un minimum face à un comportement aussi inadmissible par rapport aux forces de l’ordre ».

Son avocate plaide qu’il n’est pas un « délinquant », que toutes ses condamnations se rapportent aux mêmes types de fait : il est violent lorsqu’il consomme de l’alcool. « Dans la vie, c’est un type normal, sympa pas violent mais quand il boit il ne se contrôle plus ». D’où sa conclusion : « c’est un type qui a sûrement besoin de soin et d’un suivi » mais, elle ne voit pas l’intérêt de le mettre en prison, « ni pour lui, ni pour la société ». Certes, « il est au RSA et ne contribue pas à la communauté mais ce n’est pas un délinquant ».

Point d’orgue de cette défense infaillible, alors que personne ne l’avait évoqué avant, l’avocate rappelle à la juge qu’il faudra aussi se prononcer sur la révocation du sursis prononcé à l’occasion de précédents procès … et d’envisager, du coup, un éventuel séjour à l’ombre !!

« La décision est remise à plus tard ! »

(1) : Méthode policière qui, bien que traditionnelle, n’en est pas moins théoriquement interdite.

Audience 2

M. Martin passe pour la troisième fois devant la justice qui lui reproche d’avoir pris la voiture après avoir consommé de l’alcool et du cannabis. Le procureur lui a d’abord proposé, comme alternative à un procès, le paiement d’une grosse amende. Il a refusé et s’est donc retrouvé devant le tribunal correctionnel qui l’a condamné à une amende de 300 euros et à une suspension de permis de conduire pour une durée de 6 mois. Contestant les faits qui lui sont reprochés, il a fait appel.

Quelques mois plus tôt, lorsqu’ils le contrôlent sur une petite route de campagne, les policiers « remarquent des rougeurs dans ses pupilles ». Ils lui demandent s’il a consommé des stupéfiants ce à quoi il répond qu’il a « passé la soirée en compagnie d’amis qui fumaient mais que lui n’a pas fumé ». Qu’à cela ne tienne, les policiers le soumettent à un test d’alcoolémie et à un test de détection salivaire. Le premier révèle un taux d’alcoolémie légèrement supérieur à la limite autorisée (0,33 mg par litre d’air expiré pour 0,25 mg autorisé), le second de légères traces de THC (substance active du cannabis)

A la question de la juge de savoir s’il consommait des produits stupéfiants, il répond qu’il est un « consommateur passif », souvent entouré de fumeurs mais ne fumant pas lui-même. Cependant, pour la juge, l’affaire est déjà dans le sac d’autant que l’expert qui a été interrogé suite aux analyses urinaires a considéré que son taux de THC était « révélateur d’une consommation effective ».

Afin de lui montrer l’implacabilité de son intime conviction, elle lui demande comment il explique la présence d’alcool dans son sang, ce a quoi il répond qu’il avait bu … Comprenez : si vous avez de l’alcool dans le sang parce que vous avez bu, vous avez donc également du THC dans le sang parce que vous avez fumé ! Elle clôt l’interrogatoire de manière péremptoire : « les faits sont somme toute très simples ». Ce qui semble également être de l’avis de l’avocat général qui, dans ses réquisitions, s’étonne que M. Martin ait fait appel dès lors que la seule chose qu’il aurait à y gagner serait une aggravation de sa peine.

L’avocat plaide la relaxe : M. Martin n’a eu de cesse de le répéter, il ne consomme pas de cannabis et la quantité de THC dans le sang est trop infime pour considérer que l’infraction est caractérisée. C’est peine perdue, la Cour d’appel confirme le jugement du Tribunal correctionnel : il devra mettre 300 euros dans les caisses de l’État et n’aura plus le droit de conduire pour 6 mois !

Audience 1

Printemps 2014

M. Robert est poursuivi avec sa compagne (qui sera tout le long du procès mise en second plan, l’attention étant d’avantage portée sur son mari) pour avoir tenté de voler une boite à outils, une perceuse et des cadenas dans un magasin de bricolage. Son casier fait état de nombreuses mentions, la plupart pour des vols, que la juge énumère en marmonnant. Sa dernière condamnation remonte à 2003, il s’était alors pris un an ferme.

D’emblée la juge lui demande : « alors, M. Robert, d’ailleurs est-ce que c’est bien comme ça qu’on prononce votre nom ? S’agit-il d’une rechute ou est-ce que c’est que vous ne vous êtes pas fait prendre depuis la dernière fois ? »

La juge raconte l’affaire : ce matin là, M. Robert entre avec sa compagne dans un magasin puis celle-ci ressort. Elle remarque que les employés du magasin surveillent de près son mari et lui envoie un texto lui disant qu’il s’en aille car il est repéré. M. Robert panique et cache une perceuse qu’il avait dans la main dans le faux plafond. Il dira qu’il l’avait mise là en voulant aller aux toilettes.

Après avoir rappelé qu’il arrivait, le matin des faits, de l’autre bout de la France avec une voiture dont les plaques d’immatriculation avaient été modifiées, la juge suggère : « vous êtes venus ici pour commettre ces vols en vous disant que ce serait plus simple ici, moins surveillé, et donc vous avez modifié vos plaques d’immatriculation pour vous dissimuler ».

Il explique qu’il est venu avec sa compagne pour aller au Futuroscope mais qu’ils étaient arrivés à Poitiers en avance et qu’il avait donc voulu se rendre dans un magasin de bricolage afin de faire des achats qu’il n’avait pas eu le temps de faire avant de partir. La juge demande :

« Quel type d’achat aviez-vous à faire dans un magasin de bricolage ?

– Je voulais acheter de quoi protéger mon garage car j’avais été cambriolé quelques jours avant.

– Vous aviez besoin de vous protéger contre le vol ?! C’est drôle dans votre situation. Comme quoi, même les voleurs ont besoin de se protéger contre le vol ! »

Tandis qu’il continue à s’expliquer, la juge le regarde de haut, les mains croisée, en lâchant quelques « hum, hum », son avocate tapote sur son téléphone portable. L’intérêt pour l’histoire de M. Robert est à son comble ! La juge et le procureur, complices, se regardent en secouant la tête de gauche à droite pour bien signifier à M. Robert qu’ils ne croient pas un mot de son histoire. « Il y a dans votre histoire, Monsieur, ce que vous nous racontez et ce qu’on imagine » finit-elle par lâcher avant de narrer l’histoire de cet homme telle qu’elle la voit elle.

Lorsque la juge lui rappelle ses aveux de fin de garde à vue au cours de laquelle il aurait tout reconnu, il explique que c’était la fin, qu’il était fatigué et qu’il voulait en finir. L’avocate échange un regard complice avec la juge puis hausse les yeux : « je dirai ce que j’ai à dire là-dessus après Madame le juge».

La juge finit par hausser un petit peu le ton : « M. Robert, c’est quoi votre problème exactement ?! ». L’avocate se retourne en soupirant.

Mme Robert est traitée de la même manière alors qu’elle tente d’expliquer sa situation : 6 enfants à charge, beaucoup de fatigue, juste l’envie de faire une pause le temps d’un week-end … Et si elle reconnaît les faits à la fin de la garde à vue c’est parce qu’« [elle] a passé une nuit d’enfer, et oui [elle] voulait sortir ».Et la juge de répondre :
« Oui le truc des 48h je sais c’est horrible et tout mais quand même vous avez reconnue les faits. Alors vous l’avez dit ou pas ?
Mais je l’ai dit parce que ça faisait longtemps (en garde à vue)
Bien sur ! »
Et la juge de poursuivre en expliquant que pour elle, qui « part souvent en vacances », si on veut souffler le temps d’un week-end on ne passe pas son temps dans les magasins…

Le procureur commence ses réquisitions en disant qu’il trouve ça insultant que M. Robert fournisse de telles explications. Il présente sa vision des choses – qui correspond exactement à celle présentée par la juge – puis regarde M. Robert : « ça aurait été tellement plus simple de présenter les choses comme ça. On aurait pu l’entendre et le comprendre d’ailleurs ». Concernant sa compagne, il se contentera de dire qu’il regrette son attitude à la barre.

L’avocate plaide la relaxe partielle pour lui et la relaxe pour sa compagne. Elle les regarde « je suis désolé, je vais raconter un petit peu votre vie ». Elle explique que son problème est qu’il commet toujours plein de petits vols pour lesquels il se fait toujours prendre. Que c’est « quelqu’un qui se sent pas toujours très bien dans sa tête, ça il faut le dire ».

L’avocate finit de plaider, puis sans même lever la tête la juge ordonne : « avancez, avancez tous les deux ! ». Elle les condamne tous les deux, lui à 90 jours amende de 10 euros et elle à un mois avec sursis en leur réclamant la promesse qu’ils ne recommenceront plus…

« Vous saurez désormais qu’à Poitiers, c’est plus facile de voler et qu’on se fait moins sévèrement sanctionner mais qu’on se fait prendre ! »

A bon entendeur …

Présentation

Nous sommes un groupe de personnes venant d’horizons divers et qui avons connu le milieu de la justice de façons différentes. Après nous être toutes et tous familiarisé-e-s avec ce qui se passe dans un tribunal, nous nous sommes retrouvé-e-s autour d’une idée, celle de rendre compte de nos observations de cet enchaînement « d’affaires » du quotidien judiciaire.

Pour nous, c’est aussi l’idée que les procès que nous connaissons pour y avoir été figurant-e ou y avoir soutenu un-e pote ne sont pas plus politiques que tous ceux qui ont lieu chaque jour dans l’enceinte judiciaire. Qu’elles agissent envers des militant-e-s ou sur des personnes plus isolées, la justice et la police occupent toujours les mêmes fonctions : trier le bon grain de l’ivraie, déterminer sous quelle forme le couperet judiciaire doit s’abattre sur celles et ceux qui osent remettre en cause tel ou tel aspect de l’ordre social et lesquel-le-s doivent rester sous contrôle étatique.

Notre démarche consiste non pas à rendre des comptes rendus détaillés et complets des procès, mais plutôt à rendre compte d’une ambiance, porter un regard différent sur le prévenu et saisir ces moments qui nous semblent mettre en évidence une justice à l’occasion de laquelle la parole de celles et ceux qui y font face semble déconsidérée ou méprisée.

L’idée n’est pas non plus de revendiquer une justice plus « juste », mais bien de proposer une autre version des faits, bien éloignée de ce que les commentateurs journalistiques nous donnent à voir au quotidien, spécialistes des chiens écrasés et autres gros titres à scandale. Et qui sait, peut-être nous donner des outils pour mieux nous défendre face à la répression…