Audience 5

13h50

Je gravis les nombreuses marches menant au tribunal. À l’entrée je dois me soumettre au contrôle de sécurité : je vide mes poches, montre l’intérieur de mon sac et passe entre le portique de sécurité, ouf je suis passée ! La personne qui me suit a plus de difficultés… En béquille elle doit néanmoins faire l’effort de passer sans leur aide pour que le portique puisse avoir une certaine utilité… Mais le bip retentit tout de même, on fait repasser la personne à qui on demande de se défaire de sa ceinture. Elle passe de nouveau mais encore une fois ça bippe. Elle repasse une troisième fois… Cette fois c’est bon ! On l’autorise enfin à récupérer ses affaires et à se rendre dans la salle d’audience.

13h55

Les proches des prévenu·e·s se sont déjà installé·e·s dans la salle. Quelques avocat·e·s sont aussi présent·e·s. Les gens discutent tout bas entre eux. Un avocat fait une dernière mise au point avec son client. Et on attend.

14h05

Les juges entrent dans la salle. Tout le monde se lève et on attend le signal donné par le président pour se rasseoir. La longue après-midi d’audiences peut commencer.

L’intervention d’une avocate au sujet d’un mouvement de grève au sein de la magistrature rend le déroulement des événements un peu moins monotone qu’à l’accoutumée. J’entends assez mal son discours autour de la question de l’indépendance de l’avocat, il y a du bruit dans la salle et l’avocate en question ne parle pas très fort.

S’en suit un certains nombre de demandes de renvoi justement à cause de cette grève.

14h10

Dernière demande de renvoi. Le prévenu est présent et s’avance à la barre. Alors que le juge commence à parler, le prévenu lui coupe la parole… Le juge intervient aussitôt et s’agace : « attendez, laissez-moi finir ! ». Mais le prévenu ne le laisse pas poursuivre et commence lui aussi à s’énerver « de toute façon rien n’est jamais à mon avantage ! » ; il n’est de toute évidence pas d’accord avec cette demande de renvoi sollicité par son avocat… Le juge lui répond alors « il va falloir que vous vous calmiez, je ne supporte pas que vous me parliez comme ça ! ». Le prévenu continue de rouspéter à voix basse « faut pas être pressé ». Malgré son insistance, la demande de renvoi est acceptée et fixée deux mois plus tard.

14h15

Une nouvelle affaire commence. Il s’agit d’un homme retraité, poursuivi pour appels téléphoniques malveillants, harcèlement sexuel et tentative d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans. Le juge note l’absence du prévenu, et s’en désole en souriant « ça aurait pu être intéressant qu’il soit là ». Il évoque la personnalité bipolaire de l’accusé et fait la lecture de son état civil. Il poursuit sur la description de sa personnalité d’un ton enjoué, en citant le prévenu lui-même « il se décrit comme artiste, poète, passionné de photographie ». Son casier est vide.

Le rapport de l’expert indique qu’il s’agit d’un homme d’une forte corpulence, d’un niveau intellectuel supérieur, qui a une intolérance à la frustration, qui est procédurier… Il est bien connu de l’hôpital où il a fait des séjours pour troubles comportementaux, ainsi que des gendarmes qui l’y ont conduit car il refusait de prendre les médicaments prescrits par son psychiatre. Le juge commente cette lecture en indiquant que le prévenu se décrit comme « simplement excessif ». Le rapport conclut que le prévenu est « médiocrement accessible à une sanction pénale » et présente des « difficultés d’accéder à une ébauche de remise en cause. »

Après la première plainte d’une mineure, plusieurs plaintes ont été déposées à son encontre pour des faits similaires auxquels s’ajoutent des menaces, injures et chantage. Des personnes qui ont eu, selon le juge, « à souffrir des agissements de M. Martin ». Le juge fait alors l’énumération des victimes et de leurs plaintes, pendant près d’une demi-heure. Il y a en tout une dizaine de personnes qui se portent ici parties civiles, mais seules deux d’entre elles sont présentes, notamment la mineure qui a porté plainte pour tentative d’agression sexuelle. Des observations sont demandées à l’avocat du prévenu qui cite également des problèmes de santé physique de la part de son client, le juge commente « il n’y a pas que dans la tête que ça ne va pas très bien ».

Je ne vais pas relater ici toutes les affaires – quoi que le juge ne s’y soit pas trompé, alternant, en l’absence du prévenu, entre les citations des parties civiles, celles du prévenu – insultes comprises – et des extraits de l’enquête (relevés téléphoniques, courriers…). Le juge relate les plaintes et les auditions qu’il qualifie avec ironie d’ « intéressantes » comme s’il racontait une bonne histoire à un public à divertir – « il dit alors », « et il va répondre longuement » – mettant le ton lorsque qu’il lit les déclarations des parties civiles et du prévenu et se permettant d’interpréter ce qui est dit « enfin c’est comme ça que j’ai interprété sa réponse ». Là où M. Martin explique son comportement par la faute des victimes « mais ils me devaient 2000 euros ! » le juge conteste sa justification en s’exclamant « il se présente toujours comme une victime ! ».

L’une des deux parties civiles présentes, à peine arrivée à la barre, est presque immédiatement écartée par un « je suis un peu surpris de vous voir » car il a en fait retiré sa plainte.

Le juge reprend ensuite son énumération en s’excusant « je sais que ce que je dis est un peu répétitif mais c’est important d’entendre ce que chaque victime a vécu ». On retient plusieurs harcèlements téléphoniques auprès de professionnels (médecin, femme de ménage, plombier, banquier…), mais aussi du harcèlement sexuel auprès de proches. Neuf victimes au total ayant déposé plainte. Le récit fait de nouveau rire l’assistance lorsque le juge s’étend sur la tenue dans laquelle le prévenu a reçu son plombier-chauffagiste, laissant apparaître une plaie sur sa jambe dont il avait semble-t-il coutume de se plaindre, « Vous me rassurez, M. Martin il est toujours vivant ? », s’adressant à l’avocat de la défense. La mère de la jeune fille partie civile elle-même ne peut s’empêcher de réagir, pouffant avec son avocate, lorsqu’elle ne soupire pas de consternation.

On arrive à l’affaire de la jeune fille – Mlle Pont. Le juge évoque les faits : M. Martin serait devenu un ami de la famille, et aurait été régulièrement invité à manger chez eux. Bien qu’un peu encombrant il faisait beaucoup de cadeaux à toute la famille. La mère de la jeune fille dira « qu’ il sait y faire ». Ce contexte posé, elle commence à relater les faits. Le prévenu emmène avec lui la jeune fille pour aller faire du shopping. Le juge l’interrompt « pourquoi vous laissez votre fille seule partir avec M. Martin ?», elle répond, confuse «  mais il a insisté », le juge rétorque alors « moi j’ai une fille du même âge, il ne me viendrait pas à l’idée de laisser ma fille seule avec quelqu’un ». La mère s’embrouille un peu dans ses explications, le juge conclut « vous n’avez pas été assez ferme dans votre refus ». Le récit reprend : dans la voiture M. Martin demande à Mlle Pont si elle peut lui faire un « bisou », ce à quoi elle répond « si tu le fais je t’en mets une », ils font ensuite les magasins, puis ils vont se balader dans un parc. Mlle Pont se rend compte alors que M.Martin a pris des photos d’elle en cadrant sur ses fesses et ses seins. Surprise, elle dit les effacer aussitôt. Le juge: « Pourquoi vous les effacez, vous auriez pu attendre et lui demander pourquoi il avait pris ces photos ? », Mlle Pont ne répond pas. « Non ? » insiste le juge. Elle répond tout bas « oui j’aurais pu » et ajoute « j’avais peur de sa réaction ».

Puis le juge continue de raconter le déroulement de la journée, entre autre les propos du prévenu et ce moment où il pose sa main sur la cuisse de Mlle Pont et sa tentative de l’embrasser. À ce moment, Mlle Pont déclare avoir réagi vivement, lui disant « si tu le refais je te fous une baffe ». Le juge la remet alors en doute : « là vous n’avez pas eu peur de sa réaction ? », Mlle Pont ne réagit pas, « Bon. C’est pas une critique hein ! », elle baisse les yeux et ne dit rien. Il reprend l’affaire et raconte que le prévenu aurait, plus tard, glissé un préservatif dans les affaires de la chambre de Mlle Pont et lui demande de confirmer « vous maintenez pour les préservatifs ? », encore une fois Mlle Pont répond doucement « oui, oui ». Le juge parle aussi du harcèlement téléphonique qu’elle a subi et lit quelques exemples.

15h15

Le juge revient sur les déclarations de M. Martin par rapport à cette histoire en commençant par « je fais très court parce que M. Martin il n’est pas dans la synthèse » (il regarde son assesseur et ils échangent un sourire). Il revient notamment sur l’histoire des photos. M. Martin déclarait qu’il n’avait pas cadré sur les fesses ou les seins de Mlle Pont mais sur son nez et ses oreilles. Le juge s’exclame alors « j’aurais bien voulu savoir pourquoi il a dit prendre des photos du nez, fort joli par ailleurs et des oreilles de Mlle Pont ? ». Les gens dans la salle rigolent, pas Mlle Pont.

Le juge parle d’un message vocal laissé sur le téléphone de Mlle Pont par M. Martin et lui demande de le répéter. Mlle Pont s’exécute mais le juge l’interrompt : « parlez plus fort ». Elle répète donc. Le juge commente « c’est encore dommage qu’il ne soit pas là, je lui aurais posé des questions sur ce message ». Le juge rigole un peu ensuite lorsqu’il lit la déclaration de M. Martin « Je n’ai rien à dire, j’ai l’impression d’avoir été pris pour un pigeon » et commente ses déclarations par « C’est une réponse à la Fernand Raynaud ! »

Le juge interroge ensuite la mère de Mlle Pont qui s’explique « j’ai cru rendre service à quelqu’un de seul et je me suis fait avoir, il sait y faire ». Elle explique qu’il lui disait, pour qu’elle réponde favorablement à ses demandes que c’était pour que « sa fin soit plus douce » (M. Martin a des soucis de santé), le juge dit alors que « c’est une mort lente si j’ai bien compris ».

Le juge conclut : « ça aurait été plus vivant si M. Martin avait été là ».

15h30

C’est à l’avocate de la partie civile, donc de Mlle Pont et de sa mère, de s’exprimer. Elle est assez jeune et ne parle pas très fort – je ne parviens pas entendre tout ce qu’elle dit. Elle commence par remercier le juge de son instruction mais ajoute « je vous remercie un peu moins pour les questions que vous avez posé à mes clientes » et « je déplore que le malaise ça soit elles qui le ressentent ». Elle a ensuite une plaidoirie sensible, qui insiste sur une « famille ouverte » et « modeste ». Pour elle le prévenu « sait ce qu’il fait, il est dans la réalité des choses ». Elle lit ensuite le long message vocal laissé sur la messagerie de Mlle Pont, à l’occasion duquel il décrit son désir pour elle. Le juge lui coupe alors la parole : il n’a pas lu ce message devant tout le monde, par peur que ça soit trop difficile pour la victime. L’avocate perd alors ses moyens, elle rougit, retrousse ses manches et a beaucoup de mal à lui répondre et à reprendre sa plaidoirie. Elle conclut finalement assez vite à sa demande de peine.

Le procureur demande une « peine dissuasive » : quatre ans d’emprisonnement avec sursis et une amende de 500 euros, ainsi que les dommages et intérêts demandés par les parties civiles. Elle demande aussi son inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infraction sexuelle.

Le juge donne la parole à l’avocat de la défense, rappelant encore une fois que la présence du prévenu manque ici. L’avocate entame sa plaidoirie : « sa présence nous manque-t-elle réellement ? », car selon lui « les explications vous ne les auriez pas eu ». Il ajoute que c’est « le genre de client que vous hésitez à prendre ». Il en parle avec légèreté et humour en racontant quelques anecdotes (cadeaux de son client, épaisseur des dossiers qu’il constitue…). Toute la salle, ainsi que les parties civiles, leur avocate et le juge rigolent franchement. L’avocat en rajoute « on le range dans la catégorie des fous », ou encore « on a à faire à quelqu’un de cinglé ». Puis il change soudainement de ton et parle alors d’un « individu en souffrance ». Il reconnaît le harcèlement téléphonique et sexuel tout en remettant en question l’attitude de la mère. Il explique, en s’adressant à la mère de la victime, que « moi c’est ma fille, les warnings s’allument » et s’étonne de son manque de réaction dans l’affaire. Il revient aussi sur l’attitude de la jeune fille lors des faits. Selon lui lorsqu’elle répond à M. Martin « si tu le fais je t’en mets une » elle n’est pas tant en position de dominée et il se pose alors la question du rapport d’autorité entre les deux protagonistes. Il enchaîne en disant que leur relation ne devait pas trop perturber Mlle Pont qui n’hésite pas à aller faire les magasins avec M. Martin, sans s’inquiéter. Il finit en s’étonnant que Mlle Pont ait effacé les photos trouvées sur l’appareil photo de M.Martin, alors qu’elle aurait pu les garder comme preuves. Enfin, il tente de faire relaxer son client pour l’agression sexuelle en mettant en question le fait qu’un « carressage » de cuisse puisse être qualifié d’agression sexuelle.

L’audience est close, le délibéré remis à une date ultérieure.

Audience 4

Il est 14h05. La présidente fait l’appel des dossiers, devant une petite trentaine de personnes. « On a des rôles un peu bizarres aujourd’hui… », fait-elle remarquer d’emblée. Premier appelé à la barre, M. Baccouche, 28 ans. Il vient de prison, et est escorté par plusieurs gendarmes. Il lui est reproché de ne pas avoir réintégré la prison, où il est incarcéré, à l’issue d’une journée de travail, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté.

Condamné à treize ans de prison (trois ans pour extorsion de fonds avec violence et dix ans pour tentative d’assassinat), il arrivait en fin de peine. La présidente rappelle les faits, puis demande au prévenu s’il souhaite répondre à ses questions, se taire ou s’exprimer spontanément. « Spontanément », répond-il. « Bon, je vais quand même avoir du mal à ne pas vous poser des questions… ».

« Vous aviez quand même des mesures TRÈS favorables, monsieur, mais vous n’avez pas saisi cette chance ! », lance la présidente, avant d’insister sur les faits : « Vous avez quitté votre emploi, mais vous n’êtes pas rentré en prison. C’est une bêtise à hurler ! » Jusqu’à présent, M. Baccouche s’exprime peu. Il se tient droit, les mains sur la barre. La présidente, elle, enchaîne. « Quelques temps avant, vous êtes rentré en prison avec du cannabis », M. Baccouche la reprend : « De la résine de cannabis… C’était involontaire, elle était au fond de mon paquet de tabac ».

Il n’en faut pas plus pour relancer la présidente, en forme visiblement : « Vous êtes idiot ou vous faites semblant ?! Qu’est-ce que ça foutait au fond de votre paquet de tabac ? Une autre fois, vous êtes re-rentré avec un téléphone portable. » Le prévenu reconnaît alors que, pour le portable, c’était volontaire.

« Le Juge d’Application des Peines (JAP) s’est mis un peu en colère, et pour éviter un allongement de peine vous n’êtes pas revenu en prison. Donc, qu’est-ce que vous avez fait entre le 14 mai et le 8 septembre, date à laquelle vous vous êtes présenté à la gendarmerie de Bourac ? ». Le prévenu répond en agitant les mains, d’une voix qui porte peu : « Je me suis déplacé dans plusieurs départements, j’ai rencontré des gens qui ne connaissaient pas ma situation donc je ne leur ai pas expliqué ». Et surtout il avoue qu’il a « galéré ».

Il explique aussi qu’il a compris qu’il avait fait une erreur, et rappelle qu’il avait laissé une lettre pour qu’on ne s’inquiète pas et qu’on ne le recherche pas. La présidente se moque un peu et s’exclame que lorsque un détenu s’évade, c’est évident qu’on va le rechercher. Il rappelle aussi qu’il s’est finalement présenté de lui-même à la gendarmerie.

Tout au long de l’échange, la présidente utilise un ton hautain et infantilisant. « Est-ce qu’on va apprendre là, dans quelques semaines, que vous avez fait une grosse bêtise ? Vous en avez fait une ? ». M. Baccouche répond par l’affirmative. « Oui, j’en ai fait une. » « Une grosse ? » « Bah ça dépend ce que vous appelez une grosse bêtise. » « Avec les condamnations que vous avez déjà eues, je ne sais pas où vous placez le curseur ! ». « J’ai été con, j’arrivais en fin de peine », répond-il, sans dévoiler la « grosse bêtise ». La présidente n’insiste pas, elle n’était de toute façon pas sensée lui poser ces questions…

Pour tous les protagonistes, l’affaire semble de toute façon déjà entendue. La présidente le laisse clairement entendre : « Vous devez sortir de prison en avril 2015, il va y avoir un petit « rajout ». » Elle demande ensuite ce qu’il compte faire en sortant de prison. Le prévenu répond une évidence : « Je ne peux pas faire de projets alors que je ne sais pas quand je vais sortir ».

Le réquisitoire de la procureure est expédié en quelques minutes. Cette dernière martèle son « incompréhension » vis-à-vis du prévenu, qui « s’est échappé de sa semi-liberté alors qu’il était proche de la fin de sa peine. Mais depuis le début, il n’avait pas respecté le contrat, multipliant les incidents : horaires, etc ». Elle précise que pour elle le prévenu a bénéficié de beaucoup de clémence malgré « des antécédents gravissimes ». Et même s’il s’est effectivement rendu de lui-même à la gendarmerie, elle considère qu’il n’a de toute façon pas « respecté le contrat ». Six mois de prison sont requis.

(14h25) L’avocat du prévenu, d’un certain âge, est quasiment inaudible. Tout juste arrive-t-il à faire comprendre que son client a des circonstances atténuantes : « On sent bien que c’est un garçon fragile et qu’il a besoin d’un accompagnement psychologique ». Il ajoute que son client a passé son bac en prison, ce qui n’est pas rien, surtout pour un jeune homme qui « a passé la majeure partie de sa vie » derrière les barreaux. Il insiste sur une enfance malheureuse et termine en rappelant une fois encore « qu’il est revenu de lui-même (à la gendarmerie) ».

À 14 h 35, après une délibération, M. Baccouche est finalement condamné à cinq mois de prison supplémentaires. Son léger rictus montre bien qu’il n’est plus à ça près. Conclusion piquante de la présidente : « Cela vous convient (sic) ? Allez, disparaissez et quand vous sortez, tenez-vous à carreau hein ! ».

Audience 3

Le prévenu, qui doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels, est absent mais la présidente dit qu’il aurait reconnu tous les faits dont elle commence la synthèse : « M. Mohamed a ba non, pardon, Hamed c’est son patronyme, enfin je pense ».

Le prévenu a trois mentions sur son casier judiciaire pour des faits de violence, de rébellion ou d’outrage pour lesquels ils s’est déjà pris plusieurs mois de sursis assortis d’une obligation de soins et d’une obligation de travail. Il lui est reproché d’avoir résisté avec violence à une intervention des forces de police et de les avoir outragé en les affublant de quelques quolibets : « espèce de PD, connard, sale merde, fils de pute ». Le Tribunal correctionnel l’a condamné à deux mois fermes et à 100 euros de dommages et intérêts. Considérant que c’était un peu cher payé les trois insultes, il a fait appel.

Tout commence dans le bus, au cours d’un contrôle des agents de la compagnie de bus. Il n’a pas de titre, pas ses papiers d’identité et est alcoolisé. Les agents de contrôle appellent les forces de l’ordre qui le plaquent au sol – « il sera légèrement égratigné, sûrement en raison de ce plaquage » précise la présidente – puis l’emmènent au commissariat où, après avoir été placé en dégrisement, il refuse de sortir de cellule. Il était tellement « remonté » et « agité » qu’un policier aurait été « contraint » de « s’asseoir sur lui » (1) raconte sereinement la juge …

Il a déclaré dans sa déposition que les contrôleurs l’ont énervé car ils ne voulaient aucun arrangement de paiement ; il avait proposé de régler une partie de l’amende en liquide mais ça ne leur a pas suffi. Il a ajouté que « les policiers étaient agressifs et [le] menottaient beaucoup trop serré » et qu’il « s’énerve facilement quand il a bu, comme tout le monde ».

Le procureur requiert la confirmation de la peine de 2 mois, ce qui est « un minimum face à un comportement aussi inadmissible par rapport aux forces de l’ordre ».

Son avocate plaide qu’il n’est pas un « délinquant », que toutes ses condamnations se rapportent aux mêmes types de fait : il est violent lorsqu’il consomme de l’alcool. « Dans la vie, c’est un type normal, sympa pas violent mais quand il boit il ne se contrôle plus ». D’où sa conclusion : « c’est un type qui a sûrement besoin de soin et d’un suivi » mais, elle ne voit pas l’intérêt de le mettre en prison, « ni pour lui, ni pour la société ». Certes, « il est au RSA et ne contribue pas à la communauté mais ce n’est pas un délinquant ».

Point d’orgue de cette défense infaillible, alors que personne ne l’avait évoqué avant, l’avocate rappelle à la juge qu’il faudra aussi se prononcer sur la révocation du sursis prononcé à l’occasion de précédents procès … et d’envisager, du coup, un éventuel séjour à l’ombre !!

« La décision est remise à plus tard ! »

(1) : Méthode policière qui, bien que traditionnelle, n’en est pas moins théoriquement interdite.

Audience 2

M. Martin passe pour la troisième fois devant la justice qui lui reproche d’avoir pris la voiture après avoir consommé de l’alcool et du cannabis. Le procureur lui a d’abord proposé, comme alternative à un procès, le paiement d’une grosse amende. Il a refusé et s’est donc retrouvé devant le tribunal correctionnel qui l’a condamné à une amende de 300 euros et à une suspension de permis de conduire pour une durée de 6 mois. Contestant les faits qui lui sont reprochés, il a fait appel.

Quelques mois plus tôt, lorsqu’ils le contrôlent sur une petite route de campagne, les policiers « remarquent des rougeurs dans ses pupilles ». Ils lui demandent s’il a consommé des stupéfiants ce à quoi il répond qu’il a « passé la soirée en compagnie d’amis qui fumaient mais que lui n’a pas fumé ». Qu’à cela ne tienne, les policiers le soumettent à un test d’alcoolémie et à un test de détection salivaire. Le premier révèle un taux d’alcoolémie légèrement supérieur à la limite autorisée (0,33 mg par litre d’air expiré pour 0,25 mg autorisé), le second de légères traces de THC (substance active du cannabis)

A la question de la juge de savoir s’il consommait des produits stupéfiants, il répond qu’il est un « consommateur passif », souvent entouré de fumeurs mais ne fumant pas lui-même. Cependant, pour la juge, l’affaire est déjà dans le sac d’autant que l’expert qui a été interrogé suite aux analyses urinaires a considéré que son taux de THC était « révélateur d’une consommation effective ».

Afin de lui montrer l’implacabilité de son intime conviction, elle lui demande comment il explique la présence d’alcool dans son sang, ce a quoi il répond qu’il avait bu … Comprenez : si vous avez de l’alcool dans le sang parce que vous avez bu, vous avez donc également du THC dans le sang parce que vous avez fumé ! Elle clôt l’interrogatoire de manière péremptoire : « les faits sont somme toute très simples ». Ce qui semble également être de l’avis de l’avocat général qui, dans ses réquisitions, s’étonne que M. Martin ait fait appel dès lors que la seule chose qu’il aurait à y gagner serait une aggravation de sa peine.

L’avocat plaide la relaxe : M. Martin n’a eu de cesse de le répéter, il ne consomme pas de cannabis et la quantité de THC dans le sang est trop infime pour considérer que l’infraction est caractérisée. C’est peine perdue, la Cour d’appel confirme le jugement du Tribunal correctionnel : il devra mettre 300 euros dans les caisses de l’État et n’aura plus le droit de conduire pour 6 mois !

Audience 1

Printemps 2014

M. Robert est poursuivi avec sa compagne (qui sera tout le long du procès mise en second plan, l’attention étant d’avantage portée sur son mari) pour avoir tenté de voler une boite à outils, une perceuse et des cadenas dans un magasin de bricolage. Son casier fait état de nombreuses mentions, la plupart pour des vols, que la juge énumère en marmonnant. Sa dernière condamnation remonte à 2003, il s’était alors pris un an ferme.

D’emblée la juge lui demande : « alors, M. Robert, d’ailleurs est-ce que c’est bien comme ça qu’on prononce votre nom ? S’agit-il d’une rechute ou est-ce que c’est que vous ne vous êtes pas fait prendre depuis la dernière fois ? »

La juge raconte l’affaire : ce matin là, M. Robert entre avec sa compagne dans un magasin puis celle-ci ressort. Elle remarque que les employés du magasin surveillent de près son mari et lui envoie un texto lui disant qu’il s’en aille car il est repéré. M. Robert panique et cache une perceuse qu’il avait dans la main dans le faux plafond. Il dira qu’il l’avait mise là en voulant aller aux toilettes.

Après avoir rappelé qu’il arrivait, le matin des faits, de l’autre bout de la France avec une voiture dont les plaques d’immatriculation avaient été modifiées, la juge suggère : « vous êtes venus ici pour commettre ces vols en vous disant que ce serait plus simple ici, moins surveillé, et donc vous avez modifié vos plaques d’immatriculation pour vous dissimuler ».

Il explique qu’il est venu avec sa compagne pour aller au Futuroscope mais qu’ils étaient arrivés à Poitiers en avance et qu’il avait donc voulu se rendre dans un magasin de bricolage afin de faire des achats qu’il n’avait pas eu le temps de faire avant de partir. La juge demande :

« Quel type d’achat aviez-vous à faire dans un magasin de bricolage ?

– Je voulais acheter de quoi protéger mon garage car j’avais été cambriolé quelques jours avant.

– Vous aviez besoin de vous protéger contre le vol ?! C’est drôle dans votre situation. Comme quoi, même les voleurs ont besoin de se protéger contre le vol ! »

Tandis qu’il continue à s’expliquer, la juge le regarde de haut, les mains croisée, en lâchant quelques « hum, hum », son avocate tapote sur son téléphone portable. L’intérêt pour l’histoire de M. Robert est à son comble ! La juge et le procureur, complices, se regardent en secouant la tête de gauche à droite pour bien signifier à M. Robert qu’ils ne croient pas un mot de son histoire. « Il y a dans votre histoire, Monsieur, ce que vous nous racontez et ce qu’on imagine » finit-elle par lâcher avant de narrer l’histoire de cet homme telle qu’elle la voit elle.

Lorsque la juge lui rappelle ses aveux de fin de garde à vue au cours de laquelle il aurait tout reconnu, il explique que c’était la fin, qu’il était fatigué et qu’il voulait en finir. L’avocate échange un regard complice avec la juge puis hausse les yeux : « je dirai ce que j’ai à dire là-dessus après Madame le juge».

La juge finit par hausser un petit peu le ton : « M. Robert, c’est quoi votre problème exactement ?! ». L’avocate se retourne en soupirant.

Mme Robert est traitée de la même manière alors qu’elle tente d’expliquer sa situation : 6 enfants à charge, beaucoup de fatigue, juste l’envie de faire une pause le temps d’un week-end … Et si elle reconnaît les faits à la fin de la garde à vue c’est parce qu’« [elle] a passé une nuit d’enfer, et oui [elle] voulait sortir ».Et la juge de répondre :
« Oui le truc des 48h je sais c’est horrible et tout mais quand même vous avez reconnue les faits. Alors vous l’avez dit ou pas ?
Mais je l’ai dit parce que ça faisait longtemps (en garde à vue)
Bien sur ! »
Et la juge de poursuivre en expliquant que pour elle, qui « part souvent en vacances », si on veut souffler le temps d’un week-end on ne passe pas son temps dans les magasins…

Le procureur commence ses réquisitions en disant qu’il trouve ça insultant que M. Robert fournisse de telles explications. Il présente sa vision des choses – qui correspond exactement à celle présentée par la juge – puis regarde M. Robert : « ça aurait été tellement plus simple de présenter les choses comme ça. On aurait pu l’entendre et le comprendre d’ailleurs ». Concernant sa compagne, il se contentera de dire qu’il regrette son attitude à la barre.

L’avocate plaide la relaxe partielle pour lui et la relaxe pour sa compagne. Elle les regarde « je suis désolé, je vais raconter un petit peu votre vie ». Elle explique que son problème est qu’il commet toujours plein de petits vols pour lesquels il se fait toujours prendre. Que c’est « quelqu’un qui se sent pas toujours très bien dans sa tête, ça il faut le dire ».

L’avocate finit de plaider, puis sans même lever la tête la juge ordonne : « avancez, avancez tous les deux ! ». Elle les condamne tous les deux, lui à 90 jours amende de 10 euros et elle à un mois avec sursis en leur réclamant la promesse qu’ils ne recommenceront plus…

« Vous saurez désormais qu’à Poitiers, c’est plus facile de voler et qu’on se fait moins sévèrement sanctionner mais qu’on se fait prendre ! »

A bon entendeur …